vendredi 1 novembre 2013

La Norvège veut me tuer

Je suis en danger. Je ne suis pas certaine de pouvoir finir ce que j’ai commencé. Si vous lisez ces lignes, eh bien… c’est que je suis encore en vie au moment où je les publie. Mais si vous les lisez plus tard, bah je ne réponds plus de rien.

Je ne l’ai pas compris tout de suite. D’abord les signes ont été sporadiques. Les tactiques veules et détournées. Les prix au supermarché tentant de me pousser au suicide. La lenteur des cours me plongeant dans un état de désespoir avancé. L’alarme incendie me réveillant au beau milieu de l’après-midi, pour me maintenir dans un état de fatigue perpétuelle. J’ai résisté. Puis la Norvège est passée à la vitesse supérieure. Il y a eu les menaces de mort des mouettes faisant deux fois ma tête. La tentative d’assassinat de la râpe à fromage, qui a failli me faire perdre connaissance. Le meurtre du chargeur et de la batterie de Sinead, me laissant seule, sans allié. Et puis, finalement, il y a deux semaines de cela, la Norvège a bien failli réussir son coup. Les escaliers piégés. Un jour normal, un jour de froid et de glace, et zip ! J’ai manqué me rompre les os. Je n’ai même pas eu droit à la slowmotion de rigueur qui laisse le temps de réagir l’instant d’une chute. Non, la Norvège, elle ne se bat pas à la régulière.

A présent, la guerre est déclarée. J’ai dompté, humilié la glace à grands coups de luge avec le renfort de Rocky et d’Edward. J’ai mis mes blessures à l’épreuve dans une reproduction franco-germano-polonaise de la Seconde Guerre Mondiale. J’ai frôlé la mort. J’ai percuté Mufassa à pleine vitesse, j’ai dû me jeter à plat ventre dans un gouffre de neige pour éviter un Edward menaçant de percuter mes organes vitaux. J’ai failli me laisser enterrer dans une tranchée sous les assauts répétés d’un Mufassa aux projectiles douloureux. Mes fesses ont failli geler.
Je n’avais plus peur, alors. Je marchais d’un pas décidé dans la nuit. Je courais sur le verglas à la poursuite d’un bus à la conception très personnelle du temps qui s’écoule. Je me roulais dans la neige vêtue d’une simple chemise. Encore mieux que Rambo, motherfucker. Mais la Norvège s’est défendue. La Norvège n’était pas contente, vraiment pas contente. Elle a fait disparaître mon frigo pendant la journée. Je l’ai retrouvé deux salles plus loin. La Norvège a fait résonner l’alarme incendie à 4h20 du matin. La Norvège a remis une couche de verglas.
Ah oui, horreur absolue ! Je ne l’avais point mentionné, mais j’occupe une position critique. J’évolue sur un champ de mines, à la lisière de l’Enfer. J’habite à côté… d’une école maternelle ! Je les vois, toutes ces âmes damnées, possédées par le démon de la demeuritude. Hier matin, une armée de petits norvégiens joufflus a fait un raid autour de ma salle de cours. Ils ont plaqué sur nous leurs regards de tueurs de fourmis, à travers la vitre froide et implacable. Blam. Ce front cognant tel celui d’un zombie ou d’un attardé dans un hôpital psychiatrique glauque, faisant résonner la menace. Une menace qui m’était toute destinée.
Hier soir, soir d’Halloween rempli des murmures des morts et des yankees moustachus déguisés en clowns roses. Le point culminant de cette fable horrifique. J’ai cru que j’allais y laisser ma peau. Mon cœur bat encore la chamade à cette évocation sinistre. Suis-je seulement bien vivante ?
Avant tout, il faut que je vous parle de lui. Oui, chers lecteurs, depuis mon arrivée en Norvège, je suis la cible d’un Leprechaun. Ouais, je sais que ça vit pas so far North ces choses-là, mais j’ai dû me le ramener d’Angleterre, sans doute quand j’ai failli me laisser engloutir par le sommeil à l’ombre d’un arbre de Kensington Gardens, ce qui expliquerait que mes valises aient changé de poids. Au début, il a agi discrètement. Des disparitions d’objets. Des chaussettes d’abord, une ou deux, puis s’acharnant à les dépareiller. Puis, il est devenu plus ambitieux. Un T-shirt, un pull. L’élastique que je porte en permanence autour du poignet a disparu un jour ; je l’ai retrouvé au soir autour de ma cheville. C'était sûrement une tentative de garot. Il en veut à mon intégrité physique. Il agit quand je suis éloignée de chez moi, vulnérable. Au premier Cabin Trip que j’ai fait, il m’a subtilisé 70 krones dans la poche d’une veste que je n’ai pas quittée. Au second, il s’en est pris à mon matériel de première nécessité, et s’est emparé de mes mitaines, au nez et à la barbe de l’équipe d’Utropia, pourtant composée de journalistes surentraînés au poker. A chaque fois, il est passé à l’acte juste au moment du départ, alors que j’étais blessée (oui, une brûlure de sauna, c’est handicapant, ça fait mal dans le jacuzzi !) Et puis, ça a changé de nature. Il a tenté de me rendre folle, de m’acculer avec des menaces. Un jour que j’étais tranquillement dans ma chambre, j’ai entendu le son d’une flûte résonner au-dehors. J’entrouvre naïvement la fenêtre pour tenter de trouver la source de ce bruit que je distingue clairement, en vain. Abandonnant ma quête, je me rends dans le couloir et, rencontrant une connaissance presque française (ces réunionnais tentent de me faire croire qu’ils ont l’eau courante, comme La Cigale auparavant, ne vous laissez pas avoir, c’est un complot !), m’étonne à voix haute de cette mélopée. L’insulaire hausse un sourcil et me répond : « Ah bon ? J’ai rien entendu » alors qu’à l’instant s’élevait dans l’air l’incantation démoniaque.
Plus récemment, j’ai trouvé des traces de sang sur mes vêtements. Je n’ai pas tout de suite fait le rapprochement, me contentant de me demander How The Hell il était arrivé là. Je me rappelais avoir une fois pugilé jusqu’au sang avec β-carotène, mais cela ne semblait rien expliquer. Ce n’était presque rien, une goutte à peine, alors j’ai classé l’affaire, mais en y repensant, une goutte, à l’échelle d’un Leprechaun, c’est considérable. Une menace de mort, au moins.

Hier soir, il est passé à l’attaque.

J’ignore si c’est la fête des morts qui le rend plus puissant, s’il s’est dit qu’un meurtre passerait inaperçu au milieu du faux sang ou s’il a juste saisi une occasion au vol, mais il a accéléré son plan. Peut-être aussi a-t-il appris que j’avais entamé la rédaction de cet article, et a-t-il voulu m’empêcher de parler. Mais laissez-moi vous expliquer la situation.
La première chose que vous devez savoir pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, c’est que Sinead est dans le coma depuis bientôt trois semaines. Comme expliqué, son chargeur et sa batterie ont été assassinés, et la mutilation l’a laissée dans un sale état. En conséquence, si je veux accéder à la dimension internetale, je suis dépendante des ordinateurs de la fac. La bibliothèque est trop fréquentée à mon goût et ferme à 21h, au-delà je n’ai plus qu’une solution : utiliser la salle informatique du Center for Peace Studies, à laquelle les élèves de mon programme ont accès h24. Sauf que ma carte étudiant magnétique ne me permet pas d’ouvrir le bâtiment. Ce qui est tout à fait logique, puisque c’est le seul bâtiment dans lequel j’ai cours… Ainsi, je sais que si je quitte l’endroit, c’est pour ne plus y revenir à moins que quelqu’un puisse m’ouvrir. Or le lieu se vide en général peu avant minuit, à l’orée du dernier bus. Moi, j’avais tranquillement achevé ma séquence cinéma et je trouvais divers prétextes à traîner pour rester en seed depuis mon poste préféré et éviter d’allonger la liste de Hit&Run causée par le malaise de Sinead.
Il est bientôt 2 heures du matin quand je crois entendre des bruits de pas. Au début, je pense naturellement au Veilleur de Nuit, cette entité dont j’ai toujours entendu parler sans l’avoir moi-même jamais observée. Peut-être s’agit-il d’un esprit hantant le campus, l’âme damnée d’un professeur qui s’est autrefois tué sur la glace, qui erre la nuit et que seuls peuvent voir les élèves dotés de dons psychiques. Je me concentre sur le son des pas, que je trouve anormalement étouffé. Pourquoi le Veilleur de Nuit s’efforce-t-il de se déplacer aussi discrètement ? Croit-il surprendre un voleur ? J’attends avec une vague appréhension que la porte s’ouvre. Elle ne s’ouvre pas. Les pas continuent, trop longtemps pour l’escalier et la maigre portion de couloir descendant en salle informatique. Je ne songe pas alors qu’il s’agit de la courte et ténue foulée d’un Leprechaun, et met un peu trop vite cette étrangeté auditive sur le compte de la pluie.
C’est peu après, au moment de me lever pour partir que se referme sur moi le piège. Je suis alors violemment tirée en arrière. Je m’aperçois bien vite du subterfuge : la chaise de bureau sur laquelle j’étais assise a littéralement gobé mon manteau. Et pas n’importe quel manteau, bordel. Mon manteau Desigual à 420 euros (comment ça je l’ai eu en déstockage ?) avec lequel je pourrais me nourrir pendant un mois entier ici-haut (si on me fait cadeau des frais de change). La doublure, dans sa plus grande casualité, est parvenue à s’immiscer dans un interstice dont je ne peux même pas estimer l’ordre de grandeur tant c’est plus petit qu’une mine de porte-mine. Un ticket de tramway n’y passerait pas. Alors comment..? Je me dégage de l’étreinte du manteau et m’agenouille pour inspecter la situation (bon, d’accord, j’avais déjà fait ça pour m’apercevoir de koikil s’agissait, mais on va pas ergoter). La doublure est déchirée, l’interstice est colmaté par les fibres arrachées, qui sont tellement coincées que je ne peux les en extirper. La couture est coincée de l’autre côté. J’avais beau tirer de toutes mes forces, rien à faire, même pas l’ombre d’un progrès. Et je sais bien que la violence ne résous pas la violence mais nous entraîne au contraire dans une spirale infernale où l’escalade et je sais j’ai regardé J’ai rencontré le diable (Akmareul boatda) hier soir, mais je n’ai pas vu d’autre solution : j’ai tabassé mon agresseur dans l’espoir de lui faire cracher le morceau de tissu. Rien à faire. Je suis passée à la mutilation, tentant vaguement de lui tordre les vis pour obtenir une réaction. Rien à faire. J’ai tenté le tout pour le tout, m’arc-boutant pour lui forcer la mâchoire dans une scène digne de Mirrors (ou de J’ai rencontré le diable d’ailleurs). Toujours rien à faire. La chaise était là, étalée sur le sol, gisante mais résistante, et tout ce que j’avais réussi à faire c’était pousser une table du bout du pied. Et moi aussi j’étais là, par terre, au milieu de la nuit et sans doute seule sur tout le campus, sans batterie sur mon portable.
A cet instant je pris conscience de ma vulnérabilité. Immobile, au sol, acculée au fond d’une salle, dans un bâtiment dont l’unique issue est un escalier. Pas même une fenêtre digne de ce nom pour s’y jeter. Et si le tueur entrait dans la salle à ce moment précis ? Abandonnerais-je mon précieux manteau, ou mourrais-je en le défendant ?
N’y tenant plus, je forçais à nouveau sur le tissu, cette fois avec la ferme intention de faire céder la couture. De toute façon, sans ciseaux à portée, l’opération chirurgicale n’était pas disponible, c’était de la médecine de guerre, de l’amputation en saucisson dont Victor Pauchet aurait été fier (comment ça cette référence ne peut être comprise que par les individus ayant été en khâgne en l’an 2011/2012 ?) Je ne pouvais de toute façon pas veiller sur le vêtement toute la nuit, au risque de me faire poignarder. Le manteau, compréhensif, accepta de se sacrifier pour que je puisse m’en sortir. La couture fut rompue. Je fermai ma session et pris mes jambes à mon cou.
Et dire que je pensais alors le calvaire terminé ! Il n’en fut rien.
A peine sortie du bâtiment, et déjà une obscure silhouette d’homme se découpait sur la pelouse. Le buste de Gandhi a manqué m’assassiner par arrêt cardiaque, et dire qu’on a fait de cet homme un symbole de la paix ! Ils ne savent rien de lui ! A sa suite, quelques ombres, dont je ne sais pas bien s’il s’agit de mèches de cheveux ou de clignements d’yeux involontaires tentent d’achever le travail. Les effets spéciaux kitchissimes de Kaboom me reviennent en mémoire et me glacent le sang – je me félicite intérieurement de n’avoir finalement pas regardé Insidious. Je commence à me parler toute seule, pour me rassurer, preuve qu’il a réussi à s’infiltrer dans mon esprit. Néanmoins, je me calme peu à peu.
Mais il fallait encore que je parvienne à m’échapper du campus.

Il faut savoir qu’it happens que j’habite à la modeste distance de 200 mètres du campus. Mais ces 200 mètres sont composés d’un chemin ondulant à travers la forêt enneigée, chemin comportant notamment une pente assez prononcée. Or, la nuit est généralement le moment le plus sûr pour rentrer par-là, puisque c’est souvent la nuit qu’il neige et que les flocons frais viennent étaler sous vos pas un tapis moelleux et rassurant. Sauf que ça commence à faire un moment qu’il n’a pas neigé. Résultat, j’évolue sur une neige vieille de deux semaines que les étudiants du campus (qui constituent 1/7ième des habitants de l’île, il est de bon ton de le préciser) ont tassé des centaines, des milliers de fois sous leurs pas. Préparation qu’une petite pluie nocturne a achevé de transformer en revêtement aussi uniforme que meurtrier, qui scintillait alors sous les rares lueurs de cette nuit anormalement sombre.
C’est donc sans la plus grande assurance que j’envisage la montée qui m’attend. Je me retrouve ainsi, tout au bout du campus, dans un recoin oublié à l’arrière d’un bâtiment à cette heure-ci fermé, à détailler la pente brillante de danger qui m’attend, impassible. Faire demi-tour ? Je songe au détour que cela suppose au milieu du campus, alors que le tueur rôde peut-être encore, peut-être juste là, derrière moi, ne te retourne pas. Non, je ne peux pas aller en arrière, mais avancer, coûte que coûte.
C’est plus de l’escalade que de la marche qui me hisse dans la forêt. Je glisse mes pieds dans les encoches que mes prédécesseurs ont taillées dans le verglas. Je m’imagine très nettement tout dévaler sur le ventre au milieu d’un troupeau de phoques au premier faux pas. J’ai aussi l’occasion de penser à une vision que j’ai eu quelquefois l’occasion de méditer depuis l’arrivée de l’hiver anticipé à Tromsø : celle d’un film d’horreur où la victime aurait à échapper à son poursuivant, sur le verglas. Ils avanceraient ainsi tous deux à une vitesse approchant des deux à l’heure, extrêmement attentifs à chacun de leurs pas, dans un suspens perpétuellement entre le tragique de l’angoisse (telle la petite greluche de La Nuit du Chasseur qui avance à deux à l’heure alors que le méchant prêtre avec les tatouages sur les doigts il va venir tabasser sa charmante petite tête en noir et blanc) et le ridicule. Dans mon imaginaire, cette scène vient s’inscrire dans la série des Real Life Movies, avec celle des mecs qui arrivent à la rescousse de leur pote en bagnole et lui balance « monte, vite ! » alors qu’ils ont une trois portes et sont tous les deux assis à l’avant. C’est sûr que c’est tout de suite moins la classe que dans Wanted.
Mais me voilà ainsi dans la forêt. Et s’il y a une chose qu’il faut savoir, c’est que cette putain de forêt enneigée réfère pour moi à une putain de conversation que j’ai eu avec ce putain de Rocky au sujet de putain de Silent Hill. Et qu’à présent je ne peux plus traverser ce bois sans avoir ça à l’esprit, en particulier depuis qu’Edward a adapté cette comparaison dans le court-métrage qu’il a réalisé pour Halloween. Je ne sais donc pas très bien si je dois me focaliser sur mes pas pour éviter de me retrouver toute cuite sur le dos ou si je dois rester attentive aux frêles silhouettes des arbres derrières lesquelles pourraient émerger celles, plus rachitiques encore, de zombies. Et me voici enfin, hors des arbres torturés, mon logement à l’horizon. Je me rapproche. Je me rapproche. J’y suis presque. Je me rapproche. Pan ! Pan ! Pan ! Retentit tout près de mes oreilles le bruit de coups de feu. Je mets trois pas avant de réaliser, c’est moi qui marche dans une méga flaque d’eau verglacée, impossible à distinguer si ce n’est dans mes chaussettes. Vite, vite, plus que quelques pas, l’escalier, est-ce que j’ai mes clefs, oh, enfin, le couloir, la chambre, me voilà…
La porte de ma chambre s’ouvre sur l’Apocalypse. Partout, des vêtements renversés, sur le sol, le lit ; des sacs éventrés comme si on avait cherché quelque chose. Dans la salle de bain, je retrouve une immonde boule de cheveux de la taille de mon poing, présage de mort. Je suis envahie par une immense vague de soulagement, en m’apercevant que tout est normal ici. Puis j’entame le brouillon de cet article. Fine idée entre 3 et 5h du matin. Petit à petit, la terreur s’empare de moi alors que je me remémore, que les liens sont mis au jour, que je vois cette logique implacable de la destruction mise en place autour de moi. La fenêtre me terrifie, je ne cesse de tirer les rideaux. Les craquements du préfabriqué, autrefois normaux, se font à présent menaçants. Seule la chasse d’eau tirée par un voisin vient me réconforter. Mais cette fenêtre… cette fenêtre… elle me terrifie, je peux sentir une présence au-dehors, celle du Leprechaun qui m’observe. Il est dans mon placard aussi, que je verrouille. Je n’ose pas même enlever mes lunettes le temps de quitter mon T-shirt. Pour une fois, je renonce à la tactique préconisée par Sheldon de dormir les pieds près de la porte en cas d’irruption d’un voleur : le Mal vient de dehors. De la fenêtre. La fuite sera ainsi plus aisée.

J’ai survécu à cette nuit. On a dû veiller sur moi. Mais le combat n’est pas fini. Je suis actuellement seule, au sous-sol d’un bâtiment, entourée de baies vitrées. Celle derrière moi donne sur la nuit obscure et les silhouettes des bus qui passent de temps à autres. Parfois d’autres silhouettes… Le Veilleur de Nuit ne s’est toujours pas manifesté à moi, je ne dois pas avoir le don. Il me faut rentrer, sur ce campus encore une fois abandonné : c’est cette nuit la soirée d’Halloween, tous préparent leurs déguisements les plus affreux et les plus sluttys. Je vais encore une fois devoir affronter la nuit seule, dans ces couloirs déserts et tous entremêlés sous terre. Et cette fois, j’ai un handicap pire encore : des chaussures à semelle lisse. Des choses louches se passent ici, Tromsø est peuplé de créatures. J’ai vu les vampires. Edward, et β-carotène et son allergie au soleil. Je suis entourée de mes reflets. Je redoute l’instant où l’un va dévier de mes gestes et, à peine visible dans mon corps tout paré de noir, va tenter me tuer. La route est longue et semée d’embûches. Je ne suis en sûreté nulle part. Je ne peux compter sur personne. Et si j’étais enfermée dans la bâtisse ?

Je dois partir, il est l’heure. L’heure de quoi me direz-vous ? Priez juste pour que ce ne soit pas celle de ma fin.


Voilà qu'un sifflement s'élève...
Des craquements.
Il approche.

samedi 28 septembre 2013

Despicable you : Lettre ouverte aux littérateurs et à Mme. Guizard dans la perspective improbable qu'elle me lise un jour

[Vous m'excuserez, mais voici des mois que, malgré de multiples tentatives, je ne trouve plus le ton enjoué que vous me connaissez ici. Qu'importe, ce sera, pour une fois, l'occasion de déverser ma hargne. Ouvrons donc une fois pour toutes ces vannes bien gonflées.]



Bernad Werber écrit mal. Mais ce qu'il écrit est très bien.
Pierre Bottero est un auteur jeunesse. Mais c'est surtout un démiurge.
Maxime Chattam et Henri Loevenbruck n'ont pas un langage hors du commun. Mais c'est précisément parce qu'ils écrivent pour vous et moi qu'ils sont puissants.
Franck Thilliez et Fred Vargas ne font pas d'envolées lyriques. Mais c'est parce qu'ils n'ont pas besoin de maquiller la platitude d'un synopsis.
Frederic Beigbeder et Amélie Nothomb sont des monstres d'orgueil réduits à la provocation, dont la lourdeur stylistique n'a d'égal que la pauvreté des scénarios. Mais quand on est jeune, on les lit comme on prend son pied.

D'abord, et même s'il est déjà trop tard pour cela, laissez-moi affirmer mon droit à débuter une phrase par “mais”, même si c'est grammaticalement incorrect, parce que c'est lourd de sens, et que le langage c'est avant tout une intention, bordel. Si j'étais un auteur connu, vous ne vous sentiriez plus (pour ne pas employer une expression bien plus vulgaire impliquant vos sous-vêtements) en analysant ce choix de structure. Au passage, je me réserve aussi le “et” pour plus tard.
Ensuite, laissez-moi vous dire que j'ai infiniment plus de respect pour ces auteurs (minus les deux narcissiques sus-cités) que pour n'importe lequel de vos auteurs de Nouveau Roman. Je m'avance un peu pour Fred Vargas, que je ne connais qu'à travers les traductions que j'en ai fait (parce que vos collègues linguistes font un peu moins les fines bouches, Dieu merci !). Et oui, je clame même les noms de Beigbeder et Nothomb, aussi justes soient tous les reproches que vous puissiez leur faire. Ne croyez pas pour autant que je défende aveuglément n'importe quel auteur de langue française, je suis la première à dire qu'Anne Robillard a réussi l'exploit de publier dix-neuf tomes d'une sombre bouse (and keep going) – ce qui, il faut l'admettre, est tout de même digne de louanges. [Sérieusement, même si l'éditeur n'a pas pris la peine de jeter un œil à l'intérieur, il devrait bien se douter que si après 19 tomes elle a encore des trucs à écrire c'est parce qu'elle n'a toujours rien dit dans tout ce qui précédait ? Et à côté de ça, dans Kushiel de Jacqueline Carey, il y a à peu près autant de péripéties en un tome que dans tous les Chevaliers d'Emeraude.] Pourtant, même à elle vous devriez lui porter plus de considération. En fait, autant qu'à tous ceux que j'ai déjà cités.
Ce sont des noms que vous nous apprenez à mépriser – enfin, pour ceux que vous connaissez, car vous êtes bien loin de la science infuse. Vous les prononcez comme s'ils avaient quelque chose de honteux, qu'ils laissaient sur nous une salissure indélébile. Comme si ouvrir un jour un livre de Musso était inscrit dans votre casier judiciaire. Maintenant, j'aimerais vous poser une question. Oh, une simple question, et bien innocente avec ça. Combien d'entre vous n'ont fait ne serait-ce que le quart de leur travail ? Combien d'entre vous ont écrit un livre ? L'ont publié ? Et même auquel cas, se souviendra-t-on de vous pour cela ? Dira-t-on jamais que vous êtes un auteur ailleurs que sur votre biographie? Un peu de modestie que diable, on dirait Alain Minc commentant l'actualité politique !
Comprenez bien que par “vous”, je ne jette pas pèle-mêle dans un même dénominatif tous les enseignants et essayistes qui se sont essayés (en même temps, ça ne sait faire que ça, un essayiste, d'où le nom) à l'exercice de l'analyse et la critique littéraire. Ni même ceux qui balaient d'un revers de main tous les auteurs dont je m'applique à défendre ici l'honneur. Je suis tout de même un peu plus tolérante. Non, ce vous, je le réserve à une élite méprisante et méprisable, celle-ci qui se remplit la bouches de termes tels qu'écrivaillon pour faire la propagande de sa vision autocratique de la littérature. Oui, VOUS, MAITRES DE L'EXEGENESE ! Navrée de vous l'apprendre, mais votre jugement n'est pas de droit divin. Rien ne vous autorise à humilier tel que je l'ai vu une élève parce qu'elle lit Anna Gavalda à ses heures perdues. Vous avez le choix des mots pour ne pas trop choquer, pour ne pas susciter de plaintes, mais votre dédain suinte par tous vos pores sans même que vous ne cherchiez à le cacher. Je me souviens encore combien j'ai dû serrer poings et dents pour ne pas claquer la porte de la salle au nez de votre race. Aucun poste, aucun diplôme ne vous donne le droit à ce masque de morgue.

Le comble dans tout ça ? Nous avons aussi de très bons auteurs biens sous tous rapports - y compris les vôtres ! - que sans doute vous ne daignerez pas même survoler. Pourtant, qui peut reprocher à Cécile Ouhmani de n'avoir pas la sacro-sainte plume littéraire ? A Maïssa Bey de ne pas porter une écriture poétique et riche de ces si précieux symboles ? Ah, peut-être pour ces deux-là est-ce autre chose, peut-être la France ne s'est-elle simplement pas encore réconciliée avec son passé colonial. Auquel cas, l'excuse est encore pire.
C'est une excuse, d'ailleurs, à laquelle il n'est pas difficile de croire, tant on sait la France gonflée d'orgueil. Oui, justement, cette France-là dont Maïssa Bey écrit, dans Pierre Sang Papier ou Cendres : « Elle avance.
Droite, fière, toute de morgue et d'insolence, vêtue de probité candide et de lin blanc, elle avance.
C'est elle, c'est bien elle, reconnaissable en ses atours.
Tout autour d'elle, on s'écarte. On s'incline. On fait la révérence.
Elle avance, madame Lafrance.
Sur des chemins pavés de mensonges et de serments violés, elle avance.
C'est elle, c'est bien elle, dans l'habileté de ses détours, dans l'arrogance de ses discours. »
La France. Ma patrie que j'aime chaque jour davantage. Mais une nation qui se berce sans cesse de titres grandioses tels que Pays des Droits de l'Homme ou Mère République, à en oublier ce qu'elle est vraiment. Pourtant, Dieu sait que je l'aime, ma France, et j'en appelle à Dieu même si elle est laïque parce que c'est tout de même lui qui l'a créée. La France, fille aînée de l'Eglise. Pourquoi oublie-t-elle de le dire, comme si cela aussi était honteux ? Elle est bien prompte à l'amnésie concernant ce passé qui l'a construite. On sait bien pourtant qu'aucun pays n'en est arrivé là sans se salir les mains. Et je pourrais m'aventurer là dans un interminable discours politique, à grands renforts de Nicolas Machiavel et de Régis Debray. Oui, je pourrais ressasser du de Debray ad nauseam, mais l'on s'en passera ici. Je défends aujourd'hui la littérature et non la philosophie.
Et cet orgueil, cet orgueil typiquement français, l'orgueil de Napoléon prenant la couronne des mains du Pape pour la poser lui-même sur sa tête, c'est bien celui-ci que l'on retrouve au détour des programmes de littérature. Les anglophones reconnaissent Margaret Atwood et Salman Rushdie, les hispanophones Luis Sepulveda et Carlos Luis Zafon, et nous rechignons même à saluer Jules Verne, Boris Vian ou Romain Gary ? Mais de qui se moque-t-on ? N'ont-ils pas assez fait leurs preuves ? Deux prix Goncourt, pour le dernier cité, et vous osez encore faire la grimace ?

Je ne vous en veux pas tout à fait, cependant. Grâce à vous j'ai découvert André Chénier, ou l'Allégorie du Pélican de Musset. Quel dommage que vous vous sentiez obligé de lancer derrière cela un commentaire assassin sur le Romantisme. De rappeler que Baudelaire c'est réchauffé, démodé. C'est vrai, après tout, dans votre logique, il manque de finesse puisqu'il peut toucher tout le monde ! Le lyrisme impersonnel, que nenni ! Non, au véritable Prince des poètes vous préférez Apollinaire, ou l'usurpateur Rimbaud ! Ah, Rimbaud, ça c'est de l'auteur ! Un génie, qui a composé ses premiers poèmes à 15 ans ! Et il a arrêté d'écrire à 20 ans, c'est dire ! Eh bien moi, dans mon petit fantasme personnel, j'aime à penser qu'il s'est arrêté d'écrire parce qu'il s'est finalement rendu compte, arrivé à l'âge de raison, qu'il n'avait fait que se ridiculiser (encore une fois pour modérer ma vulgarité, particulièrement propice à s'exprimer quant il s'agit de ce mouflet). Qu'il a vu la merde qu'il a écrite, qu'il a eu honte de lui, et qu'il a décidé de tout arrêter avant que quiconque s'aperçoive que ce n'était que de la poudre aux yeux. Si seulement ! Je lui accorde du crédit pour Le Dormeur du Val (je ne suis tout de même pas un monstre!), mais Une Saison en Enfer, à un moment donné, il faut arrêter de se foutre de la gueule du monde mesdames et messieurs. Machiavel sait que j'ai toujours eu horreur de cette expression dans la bouche de mes camarades, mais il n'y en a pas de meilleure pour désigner ce que je pense de Rimbaud : de la masturbation intellectuelle. Pourquoi aucun d'entre vous ne s'aperçoit que c'est irrésistiblement facile ? Faire un texte opaque est à la portée de tout le monde ; ce n'est pas de la littérature, c'est un jeu. Presque une activité de colo. « S'affranchir des règles poétiques », avec tous ces guillemets pompeux, en quoi est-ce différent de ne pas respecter les instructions ? Au lieu de cela, Rimbaud se clame voyant, donne le chemin à suivre à ses contemporains. Après on ose parler de Beigbeder, mais vous connaissez plus gonflé d'orgueil que ce mioche !? Alors oui, je clame en toute modestie que j'écrivais aussi bien que lui à 13 ans. Vous vous rendez compte, encore plus précoce ! Et moi aussi, je m'intéressais aux messages codés. Ma mère me faisait des chasses au trésor !

Les analystes littéraires me désespèrent. N'ont-ils jamais rien lu pour s'extasier ainsi devant Barbare ? Non, il n'est pas question de lire, car l'on dira « Rimbaud était le premier ». Ecrivez et vous comprendrez bien que de tels lauriers n'ont aucun sens. Vous vous apercevrez à quel point la poésie, selon les non-règles des modernes, est facile et naturelle, pour peu que vous ayez un peu de culture et de mesquinerie. Il suffit d'y mettre peu de mots et beaucoup d'orgueil. Les Illuminations ne continuent d'exister que parce que des gens comme vous se sont sentis incapables de l'écrire. En fait, c'est sans doute même parce que vous n'avez pas compris. Oui, je vous renvoie l'Insulte Suprême faite à mon intellect, car j'ai bien su vous prouver depuis que la compréhension ne supposait pas nécessairement l'appréciation. Mais j'y reviendrai, parlons de la votre, de perplexité. Les narcissiques ne peuvent pas admettre qu'il existe quelque chose en-dehors de leurs facultés de compréhension, alors ils se rassurent en l'attribuant à un génie supérieur. C'est bien comme ça qu'on finit avec des gens qui aiment Donny Darko. Et bien moi, laissez-moi vous dire ce que j'en pense : il n'y a rien à comprendre chez Rimbaud. Juste un garçon de 15 ans et sa frustration de ne pas tirer son coup.
Vous me rirez au nez, sans doute. Mais, je vous l'ai dit, ce n'est que le juste retour de l'Insulte Suprême. L'insulte d'une garce, sur Lagarce. Mais avant toutes choses, chers amis qui n'êtes pas familiers du génie masturbateur de Jean-Luc Lagarce, admirez donc le début de J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne :
« L’AÎNÉE. – J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne.
Je regardais le ciel comme je le fais toujours‚ comme je l’ai toujours fait‚
je regardais le ciel et je regardais encore la campagne qui descend doucement et s’éloigne de
chez nous‚ la route qui disparaît au détour du bois‚ là-bas.
Je regardais‚ c’était le soir et c’est toujours le soir que je regarde‚ toujours le soir que je m’attarde sur le pas de la porte et que je regarde.
J’étais là‚ debout comme je le suis toujours‚ comme je l’ai toujours été‚ j’imagine cela‚
j’étais là‚ debout‚ et j’attendais que la pluie vienne‚ qu’elle tombe sur la campagne‚ les champs et les bois et nous apaise.
J’attendais.
Est-ce que je n’ai pas toujours attendu ?
(Et dans ma tête‚ encore‚ je pensais cela : est-ce que je n’ai pas toujours attendu ? et cela me fit sourire‚ de me voir ainsi.) »
And so on, pour des pages et des pages. Vous savez, ce que je vois en lisant ça ? Je vois Christian Bale dans American Psycho, qui admire ses muscles dans le miroir tandis qu'il baise des escorts. Et pourtant, vous avez osé. Le manque de respect ultime à mon intellect. « C'est parce que vous n'avez pas compris. »
« Pendant les vacances, quand vous aurez du temps, vous prendrez le temps de le relire et de comprendre. » De comprendre quoi ? Qu'on a massacré de pauvres arbres pour rien ? En général, quand on a finit sa petite affaire, on jette honteusement son kleenex au fond de la cuvette, on ne s'étale pas sur des milliers d'exemplaires de vide intersidéral. Mais non, Jean-Luc Lagarce fait du théâtre, c'est de l'Art. Pourquoi ? Parce que vous l'avez décidé, et que je n'ai pas compris. J'étais emplie de haine et de dégoût, ce jour-là, mais je suis heureuse que vous m'aillez donné l'opportunité de prendre ma revanche. Mon oral, sur Lagarce, ai-je bien entendu ? Eh bien, puisque vous y tenez tant, je vais me faire un plaisir de détruire votre argument d'autorité. Combien m'a valu mon analyse, déjà ? 15, 16 ? J'ai majoré, pas vrai ? Et vous avez eu cette phrase, cette phrase terriblement assassine, mais cette phrase qui n'avait plus de pouvoir dès lors que j'avais surmonté votre épreuve. « Bien, on peut considérer que vous aimez Lagarce maintenant. »
Je me demande, encore aujourd'hui, si cette phrase a été lancée par pure provocation, ou si vous n'êtes véritablement pas capable de comprendre qu'on peut avoir parfaitement saisi le sens et l'intention du texte et juger, en toute connaissance de cause, que c'est impeccablement creux. Qu'on puisse avoir d'autres yeux que vous, et ce sans être aveugle. Ne me prenez pas pour plus conne que je ne le suis, s'il vous plaît. Je ne suis pas bornée, moi. Je suis capable d'admettre que Lagarce a écrit des phrases intéressantes. Quelques-unes. Des poignantes, même.
« L'AÎNÉE. - Celui dont on souffrira toujours ? Qu'on croisa et qu'on ne revit pas, dont on cherche la trace parmi les autres, celui-là, à peine, qui bouleversa tout et ne s'en rendit même pas compte et que parfois encore, je me surprendrais à haïr pour m'avoir abandonnée ? L'indifférent ?
Mon secret ?
LA SECONDE. - Un homme comme ça, oui.
L'AÎNÉE. - Je ne sais pas, non […]. »
Il y a du beau dans cette réplique, dans tout le passage, à vrai dire. Cette femme qui marche exactement comme on veut qu'elle marche, avec son pas serré de garce respectable. Celle-là qui sait parfaitement la douleur d'aimer, au point que les mots lui échappent de la bouche, qui n'est plus que ressassement d'une passion apprise par cœur depuis longtemps. Qui reprend subitement le contrôle une fois libérée de ce qui lui brûlait l'âme et qu'elle avait toujours voulu dire. Pourtant, regardez comme c'est facile, comme la construction est évidente. Alors, j'avais encore une preuve à faire. En deux mois, j'ai écris une pièce de théâtre moderne. Et honnêtement, je ne me trouve pas plus mauvaise qu'un autre. En fait, si je manquais de modestie, j'oserais me comparer à Beckett. Mais je me contenterais de dire que c'est meilleur que J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne. Je le pense sincèrement, et pas seulement parce que mes mots sont à mon propre goût. En relisant Lagarce aujourd'hui, je me rends compte que même ce que je trouve grossier chez moi demeure néanmoins plus fin que cela. Et dire que je trouve encore que ce n'est pas assez bon !
Ah oui, je voulais vous parler d'un autre auteur aussi, Michel Vinaver. Celui qui a écrit 11 Septembre 2001. Suis-je la seule a avoir pleuré d'indignation en le lisant ? A avoir traversé cette pièce dans le nuage étouffant d'une unique pensée, ce type est un salaud ? Il a écrit ce bouquin sur les cadavres encore chauds des milliers de victimes. Fait du sentimentalisme sur des familles n'ayant pas encore achevé leur deuil. Ce n'est pas une guerre, une guérilla, un conflit flou qui laisse la place aux symboles. C'est un événement bien identifié d'une violence sans pareille pour la civilisation. Une amputation dont le trauma est encore tout frais. Et il cherche à nous basculer dans l'intimité de ces hommes à peine enterrés – pour ceux qui ont seulement eu la chance d'être retrouvés ! Qui s'amuse à cracher sur les tombes le jour de l'éloge funèbre ? Même pas Boris Vian.

Je vous méprise, littérateurs, parce que vous vénérez l'insondable du langage, et dénigrez l'insondable de l'âme humaine. Vous prenez Baudelaire de haut, mais vous agenouillez devant Mallarmé. Aaaah, le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ! Êtes-vous seulement certains qu'il n'est pas vôtre, ce songe froid de mépris que vêt parmi l'exil inutile le Cygne ? « Froid de mépris », « exil inutile », ça ressemble bien à la définition d'un professeur de littérature pourtant ! Enfin, pas de tous, bien sûr. J'ai eu des profs intelligents. D'ailleurs, étrangement, je ne sais pas, ça devait être une heureuse coïncidence, mais en général ils tournaient en dérision l'exercice de l'analyse littéraire, à grands renforts de « c'est complètement con, mais c'est ce qu'attend l'Education Nationale, alors il va falloir faire semblant ». Je me souviens de ce prof de philo qui nous avait donné cet exercice : utiliser un exemple qui n'avait rien à voir avec notre argument, pour l'appuyer. « Pourquoi ? » ont interrogé les plus crédules ? « Parce que le jour du bac vous n'aurez pas toujours d'exemples appropriés, et que c'est aussi ça, la philo, tordre le sens des idées pour que ça ait l'air de marcher ». Merci pour la grande leçon donnée à ceux qui y croyaient encore, Mr. Bourdel.
Mais pour vous, pour ceux qui ont commis l'erreur de n'avoir pas chanté la région où vivre quand du stérile hiver a resplendi l'ennui, quel que soit le sens que vous puissiez donner à cette citation dans ce contexte (quoi qu'on pourrait volontiers remplacer « hiver » par « analyse littéraire », ne croyez-vous pas ? Quand de la stérile analyse littéraire a resplendi l'ennui, d'un seul coup ça a un sens limpide, vous ne trouvez pas ?) - tiens, une phrase à rallonge, vous aimez bien non ? - attention ça reprend ici : plus c'est complexe, plus c'est de l'Art. ET bien laissez-moi vous dire une chose, une chose qui me tient énormément à cœur et que je ressasse depuis maintenant 3 ans : l'un des plus grands progrès de l'humanité, ça a été l'alphabétisation, qui avec l'invention de l'imprimerie, a permis à tous d'accéder à la lecture, et donc à la culture, et par cette faculté de s'ouvrir à l'apprentissage autonome et de devenir maître de son propre destin. Oserez-vous dire le contraire, au moment de traquer l'analphabétisme avec la JAPD ? C'est un mal, n'est-ce pas, une gangrène, une moisissure, il faut l'éradiquer à tout prix ! Eh, attendez, vous n'avez pas l'impression qu'on est en train de faire le chemin inverse ? Qu'après des siècles à essayer de rendre les livres accessibles, on est en train de les retirer des mains du peuple ? En employant des circonvolutions toujours plus sophistiquées, d'empêcher les gens du commun d'en saisir le sens ? Ah, la Beauté de la plume, j'en veux bien, mais elle a des limites. Enfin, sur qui aujourd'hui tombent vraiment les Lumières ? Nous sommes une République, la Mère République, et nous devons donner aux hommes l'occasion de s'accomplir par l'éducation et le choix éclairé ! Au lieu de ça, on jette l'élève moyen en pâture aux sirènes de la démocratie, et on réserve la compréhension supérieure des sciences humaines à une élite aussi narcissique que supposée, sélectionnée par leur acception d'un code absurde mais unanime. Putain, on dirait les Francs-maçons.

Ah, je voulais vous dire, aussi : en fait, l'analyse littéraire en elle-même suppose de ne pas savoir écrire. Comment penser autrement qu'on puisse ainsi s'acharner à plaquer un sens sur chaque déterminant, sur chaque virgule ? Surtout en matière de poésie ! Ca ne vous est pas venu à l'esprit que le type a peut-être simplement ouvert un dictionnaire de synonymes ? Quand t'as besoin d'un mot en deux syllabes, qui finisse par « val », t'as peut-être pas 15 000 autres choix que « cheval » ou « aval ». Et l'idée du cours d'eau qui renvoie à l'engloutissement de l'avenir du héros, se précipitant de lui-même vers sa fin certaine, sans détour possible, vient peut-être simplement du fait que le type avait pas envie de foutre un poney en plein milieu ! Ceci est un exemple fictif, mais prenons-en un concret : et comme j'ai pu puller votre leg ! Iambes, de Chénier. Mon premier oral de prépa, si je me souviens bien. Je me suis rarement sentie aussi puissante qu'au moment de balancer l'analyse de ces vers :
« Peut-être est-ce bientôt mon tour.
Peut-être avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé sur l'émail brillant,
Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant;
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière. »
Analyser chaque mot, chaque ponctuation. Y compris cet « émail » qui me hurle du plus profond de mon âme « j'avais besoin de deux syllabes en plus (et les horloges sont souvent en émail) ». Mais ce n'est pas grave, je peux bien m'amuser à travestir les poèmes, moi aussi. J'ai vu chez vous un si grand intérêt au moment où j'ai expliqué, studieusement : « or l'émail est de couleur blanche, ce qui renvoie à la pureté, à l'incorruptibilité du temps qui avance inéluctablement et le rapproche de sa mort, et qui fonctionne en contraste avec le geôlier, les soldats et la société qu'il cherche à dénoncer ici ! » Et ma magnifique analyse de « J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime, / Du juste trop faibles soutiens, » où j'ai savamment expliqué que les dards renvoyaient à ceux des abeilles, qui meurent après avoir piqué, tout comme Chénier, dans sa cellule de prison, sait qu'il va mourir pour avoir tenté de défendre sa justice. Non mais franchement ? Vous pensez que c'est ce que s'est dit Dédé en écrivant ça ? Vous pensez seulement qu'il savait ça ? Je ne sais pas, peut-être que j'aurais dû pousser l'analyse plus loin, et on aurait fait une découverte colossale du genre qu'en fait, il était le fils caché d'une apicultrice et de Stanislas II, roi de Pologne. Non, vous, vous avez gobé ça. Mieux encore, vous l'avez bu comme du petit lait. Vous m'avez mis 16. J'ai majoré. Bon Dieu, je me sens sale. C'est donc ça, la prostitution intellectuelle ? Ce n'est pas si terrible, en somme. En tout cas, ce n'est rien comparé à la jubilation d'être applaudit par ceux que vous tournez en dérision.

Comme XKCD l'illustre si bien (merci KGB, j'avais oublié celui-ci) :
(Non ceci n'est pas un comic for ants, vous pouvez cliquer dessus)


Mais analysons, analysons, j'aime bien ce petit jeu moi aussi, j'ai une arme implacable pour cela : ma mauvaise foi. Allez, échangeons les rôles, à vous maintenant d'analyser une de mes phrases : « Ô exote caligineux aux demeurants funestes, sur l'onde festoyante, crucifié le nitiscent Eros ». Bien, allez-y, réjouissez-vous, décortiquez cette phrase comme une crevette le jour du nouvel an (je suis désolée, en dépit de son absence de sens, ma phrase manque d'opacité, je n'y peux rien, c'est plus fort que moi!). Cherchez les symboles : religieux, sexuels, morbides, mythologiques, que sais-je encore ? Si j'étais Minyana, vous le feriez, pas vrai ? Si j'étais Minyana, ce ne serait pas une faute que d'écrire « au demeurant » au pluriel, mais bien un choix littéraire ! Après tout, les « écrivains » procèdent par argument d'autorité : ils ne font jamais de barbarismes, que des néologismes ! Et après ça, comment voulez-vous que j'explique à KGB qu'il faut qu'il arrête de franciser des mots anglais ? Tel Sergi et le Petit Bout de Jambon, il ne saura à qui se fier ! Le pauvre garçon, perdu par votre faute !
Et les auteurs, s'ils vous lisaient ! Ce n'est même plus question de se retourner dans sa tombe ! Je comprends, tout d'un coup, pourquoi il faut un demi-siècle de maturation pour obtenir de la « littérature ». La perspective ? Laissez-moi rire ! La vérité, c'est qu'il faut bien laisser le temps à l'auteur et à sa famille proche de mourir, pour ensuite pouvoir dire des conneries sur lui sans être contredit ! Vous interprétez comme des Evangélistes ! Ah, mais ma parole, si de Vigny écrivait de nos jours, vous l'assommeriez de commentaires sur son esprit torturé, il s'embarquerait pour 11 ans de thérapie à 100 balles la demi-heure avec un psy qui croit tout ce qu'a écrit Freud, et qui finirait par conclure que tous ses problèmes sont liés à des abus sexuels perpétrés par un ornithorynque [Btw, après être tombée dessus complètement par hasard, je déclare ornithorynque mon nouveau mot préféré en japonais : kamonohashi] qu'il a subit à l'âge de six mois et totalement refoulés depuis. Et puis, bien sûr, il se suiciderait (le psy ou de Vigny, j'ai pas encore choisi).

Sur quoi conclure, alors qu'il reste tant à dire ? Je n'ai pas le cœur d'user plus ma plume mon clavier pour vous. Et puis après tout, le lapidaire « le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net » de Pascal suffit à vous occuper des heures, alors pourquoi en ferais-je plus ? Continuez à vénérer Claude Simon, sachez que je ne l'ai jamais lu. Idem pour la moitié des livres sur lesquels j'ai été interrogée : je ne m'en porte pas plus mal, et ironiquement mes bulletins non plus. Je ne dis pas que vos auteurs sont dignes de mépris non plus, mais modérez un peu vos éloges. Pour moi, « La tête enfouie au creux des pages en papier bible, je suis une statue qui pense. Je ne peux pas tomber. » a, dans toute sa simplicité, autant de force et de sens que n'importe laquelle de ces citations que vous faites apprendre par cœur à nos amis scientifiques (ne parlons pas même d'Apollinaire et de son "Nul coq n'a chanté aujourd'hui, / Kirikiki"). Et je dois cette émotion a Henri Loevenbruck, qui soit dit en passant est un bijou de sympathie [Vous avez déjà remarqué comme le mot « affabilité » renvoie exactement l'impression inverse de son sens ? Pour moi, il ne peut s'appliquer qu'à une secrétaire de CDI.]. Excusez-moi, mais comparons donc : j'imagine difficilement Rimbaud autrement que comme un petit con. Je l'aurais connu à 14 ans, je l'aurais admiré ; je l'aurais connu à 17 ans, je l'aurais baffé. Ca nous aurait fait du bien à tous les deux.

D'ailleurs, en parlant de bien, lisez 1984, ça vous en fera. [Faites ce que je dis, pas ce que je fais, je dois bien pouvoir le conseiller tout de même puisqu'à vous croire je n'ai pas besoin de lire un ouvrage pour pouvoir en parler savamment.]
Et laissez-moi vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que la prochaine fois que j'entends le mot “écrivaillon”, j'égorge un essayiste (avec une préférence pour Alain Minc).



[Sur ce, histoire de pas finir comme une crevarde, une pensée cette fois positive pour les enseignants de lettres que je respecte, (il en faut bien !) :
Agnès Muron,
Marie-Hélène Jouhet,
Denis Brunon (RIP)
Merci à vous.]

dimanche 31 mars 2013

Cuite à l'étouffée et aux petits oignons

Je vous l'annonce direct : ce post fera encore dans le glamour (deux fois de suite, c'est dur, je sais, mais ça fait partie de mon charme...).

Vendredi, ou plutôt hier matin, pour la première fois de ma vie EVER, j'ai vomi à cause de l'alcool.

De façon totalement improbable vu la quantité d'alcool que j'ai ingurgité, mais certainement rapport à quatre points :
1 : pour raison de potes de fac abusément raisonnables, je n'ai pas bu sérieusement depuis le Nouvel An, et avant ça depuis la rentrée de septembre, et avant ça depuis le mois de mai
2 : pour raison de flemme intense, je n'avais rien avalé depuis la veille midi
3 : pour raison inexpliquée, ça fait une semaine que j'ai des maux de ventre qui popent sporadiquement et me donnent de base l'envie de faire du yoga au-dessus de la cuvette
4 : pour raison d'emploi du temps de dingue, et qui justifie aussi tous les autres points, je suis tout le temps fatiguée et stressée, et je n'ai pas eu un jour de repos depuis la mi-février

N'empêche que moi qui buvais entre 4 et 5 soirs par semaine quand j'étais en prépa, je n'aurais jamais cru que la fac était austère au point de me déshabituer de l'alcool. C'est vrai ce qu'on dit : tous des branleurs.

Alors que j'étais agenouillée en train de retapisser la moitié de mes chiottes, je me rappelle avoir eu quatre pensées :
1 : c'est vraiment pas normal que je me sente mal avec ce que j'ai bu
2 : c'est tellement horrible que je ne veux plus jamais être bourrée de toute ma vie EVER (comme quoi la naïveté du bourré est universelle)
3 : l'avantage c'est que je suis tellement mal que c'est KGB qui va nettoyer derrière moi (il m'a même préparé du pain grillé, ce type a gaaaagné sa place au paradiiiis, et si un aaaaange passe, paaaaaart avec lui...)
4, et la plus importante de toutes : je viens de ruiner en l'espace de quelques instants une vie (de 19 ans) de réputation : "Je n'ai jamais vomi à cause de l'alcool." Boom. Fini. Le bon côté des choses, c'est que ça ne vient que renforcer ma réputation de "je n'ai jamais eu la gueule de bois", parce que, au moment où j'écris ces premières lignes, le samedi à 7h du matin, soyons honnêtes, je suis encore totalement défoncée, mais dans une forme monstrueuse.

Si bien que ma première pensée en me levant, ou plutôt ma deuxième après "putain KGB m'a vue vomir" (ça faisait des mois qu'il avait pris de l'avance et que je me foutais de sa gueule à la première occasion), ça a été "putain (oui, je jure beaucoup au saut du lit, c'est mon côté distingué), je suis en forme comme je l'ai pas été depuis des mois, l'alcool c'est GENIAL !"


Un grand classique, dont on ne se lasse pas pour exprimer son entrain.

Ma troisième pensée a ensuite été "pourquoi je suis entièrement nue ?". C'est le moment où KGB m'a appris que j'avais pris une douche, et ma seule réaction a été : "oh non ! si j'ai pris une douche bourrée, je suis sûre que j'ai oublié de me faire un soin des cheveux !" Comme le dit si bien le rideau déroulant de ce magasin devant lequel je passe tous les jours : "I'm superficial, whatever !"

Bref, une partie de moi s'est éteinte, dans la nuit, alors que je dégurgitais pour la première fois depuis des années. La partie de moi insubmersible, invincible, à laquelle je rattachais mon identité toute entière, la partie de moi "vite pétée, jamais déchirée" qui m'a valu tant de bénédictions. Je pleure une Shania à la réputation d'épicité aussi intense qu'une couleur au sortir du coiffeur. KGB est certes la preuve qu'on peut rester épique tout en ayant déjà souillé son âme de vomis, ce n'est pas une raison. Et puis surtout, maintenant, je ne suis plus en position de me foutre de lui. Zettai yurusenai.
A cette occasion je me remémore toutes les fois où j'ai été vraiment mal, mais pas à ce point quand même. Sentiment qui réfère à deux soirées :
1 - Un anniversaire, d'un type que je connaissais à peine, auquel j'avais accompagné Meta-link qui était mon copain à l'époque. J'ai bu de façon à peu près normale au cours de la soirée, un peu de bière par ci, un peu de vodka par là... Puis, petit à petit, tout le monde est allé se coucher. Restaient dans le salon Meta-link et moi et un autre couple. Meta et la fille étaient plutôt partis pour dormir, le mec et moi plutôt partis pour continuer la soirée. Dans notre infinie solitude, nous nous sommes donc mis en quête d'une bouteille pour nous accompagner au travers de cette douloureuse épreuve. Nos recherches s'avérèrent infructueuses, jusqu'à ce s'ouvre devant nous la porte du réfrigérateur... Et là il n'y avait non pas une, non pas deux, mais TROIS bouteilles de rosé intactes qui nous attendaient. Je sentais vaguement que si elles étaient là, sagement rangées, c'est qu'elles ne nous étaient pas vraiment destinées, mais le type n'avait pas les mêmes considérations que moi. Elles étaient là, nous aussi, ça ne pouvait pas être plus clair. Leur consentement n'était pas à questionner.
Je garde de la première bouteille de rosé d'excellents souvenirs. On a évoqué des sujets sensibles, j'ai beaucoup pleuré, alors on a enchaîné sur la deuxième bouteille. C'est là que les choses se sont compliquées. J'ai commencé à la sentir passer. Enfin je suppose, parce que mes souvenirs à partir de là se sont tous défilés face à une unique et obsédante pensée : si je bois davantage, je vais vomir, et perdre ma réputation.
Ainsi, à l'aube de la troisième bouteille de rosée, j'ai capitulé. J'ai rendu les armes face au liquide translucide, déjà plus trop lucide. Le reste de la soirée, je le connais par une série de photos de moi, toutes plus fraîches les unes que les autres, où l'on voit, progressivement, le ciel s'éclaircir par la porte-fenêtre derrière moi. Apparemment, quelqu'un nous a rejoint au niveau d'une demi-bouteille de rosé, qui était selon moi soit la deuxième, soit la troisième. Et sans doute encore un autre individu, à l'approche de l'aube, ou alors la personne qui a pris les photos à partir de ce moment-là a un bras très long et très flexible. Je pense que le mieux c'est ma tante qui a commenté sur une de ces photos d'une élégance rare où j'ai l'irrésistible sourire d'un cochon de lait que j'allais bien dessus. Mais le lendemain matin, c'est à dire trois heures plus tard, j'avais une pêche d'enfer. Et une grosse trace de rouge à lèvres sur le menton.
2 - La fameuse soirée où j'ai rencontré KGB, et que j'ai déjà relatée dans cet article.

Pour votre information, quand je suis bourrée, je ressemble à ça :


Ceci est extrait de ce qui est sans doute une de mes scènes préférées EVER de Soul Eater. Et je suis aussi dans l'obligation de vous dire qu'à ce jour, et depuis environ deux à trois mois, le rire de Patty est devenu mon rire. Et non, pas que quand je suis bourrée.

Bref, revenons à présent sur la soirée de vendredi qui a signé ma destruction.

C'était une bonne soirée. Je n'ai pas vu passer les premières heures, ni les premiers verres. Je les ai dosés à mon habitude : beaucoup trop. Mais j'avais foi en moi, voyez-vous, en ma capacité légendaire à ne jamais boire au point d'en être malade. Ca m'a fait l'effet d'avoir planté mon partiel de Politique Comparée en Dictatures : échouer à l'épreuve la plus simple, la plus élémentaire, parce que j'ai voulu dépasser les limites imposées. Mais reprenons, pêle-mêle, les évènements notables de cette soirée.

[Ah, c'est le moment tant attendu du coup de gueule !]
Apparemment, l'hôte aurait râlé parce que j'aurais vraisemblablement renversé une bouteille au moment de partir. Ca ne me ressemble pas trop (n'en déplaise à Flower Power chez qui j'ai renversé UNE bouteille de bière UNE fois parce que je ne savais pas que sa table penchait, et qui depuis me considère comme le démon absolu), mais enfin je suis naturellement maladroite, et vu que la Chaudière n'a pas arrêté de me verser du Red Bull dans mon verre à la moindre occasion et que la molécule du taureau a une forte propension à révéler mes liens de parenté cachés avec une bouncing ball et Nicolas Sarkozy, cette possibilité n'est pas à exclure. J'en suis platement désolée et tous les ronds de jambes qui vont avec, mais enfin tu fais pas une soirée si t'as peur que ce soit le bordel après. Ou alors tu t'attends à ce qu'il ne se passe rien, et alors ta vie est encore plus plate que mes excuses. J'aurais bien aimé le voir s'il avait eu l'appartement de Salamander.
Aaaah, Salamander. En voilà un dont l'abnégation était sans limite. En l'espace d'un mois, on (et on, ici, ne me désigne pas, ou juste en guise de figuration, car à l'époque je buvais tous les soirs et savais donc un minimum me tenir - en fait je buvais juste assez pour ne pas avoir à m'occuper de ceux qui étaient vraiment bourrés, niark niark) :
- a vomi sur ses plaques de cuisson (putain, même si j'étais pas là, je manque de m'étouffer rien que d'y repenser)
- a repeint l'intégralité de ses murs avec de la chantilly
- a démembré ses oreillers et déversé le contenu en pluie fine et délicate
- a renversé le contenu de sa poubelle dans tout son appartement
Même moi, si on revient sur l'année passée, on se rappelle que :
- on a explosé une des jardinières que ma mère m'avait naïvement amenées dans l'espoir sincère mais vain que je m'intéresse à la vie de la flore (alors que bon, autant un chat c'est mignon à observer, autant une fougère c'est pas des plus vifs, et ça s'intéresse à rien)
- le Goujon a réduite en morceaux ma table en (faux) marbre à un mois de mon état des lieux, elle m'a coûté 45 euros à remplacer et je n'ai pas demandé remboursement
- l'Irlandais a cassé net la poignée de ma porte d'entrée (bon, j'admets que cette fois, j'étais aussi un peu impliquée... mais c'est sa faute, aussi, il n'avait qu'à pas opposer de résistance... rentrer réviser ses concours, je vous jure, on n'a pas idée... si j'avais su je l'aurais attaché avec du Chatterton, comme pour la Cigale)
- on a dormi à 7 dans mon lit, avec une personne sur mon fauteuil de bureau et deux autres par terre dans mon couloir, ne me laissant que la baignoire pour dormir, sans oreiller ni drap, ce dans mon propre appartement
Et pourtant je n'en ai jamais voulu à personne.
[/Ah, ce n'est plus le moment tant attendu du coup de gueule !]

Donc, reprenons, au fil de cette soirée  (zavez remarqué que j'aime beaucoup faire des listes aujourd'hui ?) :
- comme évoqué précédemment, la Chaudière s'est fait un gage de réussite personnelle de verser le plus de Red Bull possible dans mon verre à mon insu ; ce type ira loin
- je suis passée au travers d'une chaise, j'ai faillit culpabiliser à mort avant d'apprendre qu'elle se déboîtait l'assise comme je me déboîte la cheville ; plus de peur que de mal
- la Chaudière m'a bu dans la main ; ce type ira vraiment très loin
- je suis passée au travers d'une seconde chaise après que le Goujon se soit assis sur mes genoux de manière impromptue ; aucune idée de la proportion de peur et de mal
- je me souviens vaguement avoir fait hue dada sur un dos qui devait être celui de la Chaudière ; ce type ira tout de suite beaucoup moins loin avec moi sur son dos
- j'ai pu discuter un moment avec le Loup, ce qui m'a fait plaisir même si j'ai pu constater que le Renard se prenait toujours pour une hyène ; POPOPOOOOOO ! ; j'en conclue donc que la hyène est en fait une Belette
- guidée par un instinct surhumain, j'ai découvert que le pommeau de douche de l'hôte émettait une lumière verte ; oui ma curiosité est rare mais irrépressible
- le Goujon, la Chaudière et moi avons trouvé la route vraiment très confortable, et le trottoir aussi ; ne faisons pas de jaloux
- on m'a confié se souvenir de moi grâce à une photo légendaire impliquant un glaçon et qui me suit depuis maintenant un an et demi ; non n'insistez pas
- j'ai repéré un groupe de gens dans le tram et ai entrepris de les complimenter de manière systématique sur tout ce que j'appréciais chez eux, et ai même récupéré un numéro ; je ne sais pas trop quoi en faire
 La liste pourrait encore s'allonger un moment, mais se diluerait alors autant que le soft dans mon verre, et je pense nécessaire d'y apporter un point final. A la liste hein, pas à l'article, désolée de vous avoir donné de faux espoirs.

Toujours est-il qu'alors que j'amenais un petit train de deux passagers en gare de toilettes-de-chez-Shania-juste-à-côté-de-la-salle-de-concert-où-on-allait-et-alors-putain-pourquoi-j'ai-dû-traverser-la-moitié-de-Montpellier-aller-retour-pour-prendre-l'apéro, je suis descendue à cet arrêt. Ô amers regrets. Ceci dit il paraît que je me suis allongée au bas de mon lit, que j'ai roulé par terre et ai fini par me nicher dans l'immense tas de vêtements pour lesquels j'ai pas de place dans mon armoire, donc ce n'est peut-être pas si mal que je m'en sois arrêtée là. Bon ok, d'accord, c'est super mal, et la Chaudière n'a eu de cesse de me faire râler en me racontant par la suite tous les moments improbables que j'ai ratés. Il dit ça sans soupçonner tous les moments improbables qu'IL a raté parce que JE n'étais pas là et qu'il est bien connu que je suis ZE must have de n'importe quelle soirée digne de ce nom. Bon, d'accord, je le hais. Je le hais et en même temps pas tout à fait puisque j'ai appris que le Goujon et lui étaient partis à ma recherche, sans savoir où se trouvait mon nouvel appart, et sont bien entendu rentrés la queue entre les jambes. Comme c'est touchant. J'en pleurerais presque. Oh eh ça va, presque j'ai dit.
Bien sûr, je me suis sentie digne d'Andréa la poubelle tout le lendemain. Mais pas parce que j'avais mal à la tête où quoi que ce soit de ce genre, je vous rappelle que ma réputation de jamais-gueule-de-bois-risée tient toujours, et même encore plus maintenant que plus personne ne peut me dire "c'est parce que tu n'as pas assez bu". Non, juste parce que même si j'ai, d'après la Chaudière, "embelli [sa] soirée, et un peu arrosé [sa] soirée et [sa] tête", OUAIS SPECIALE KASS-DEDI A LA CHAUDIERE CE SOIR parce que je lui ai promis, j'ai très certainement été intenable. Et surtout parce que cette soirée était prévue comme mon seul moment de détente et de relâchement depuis et pour un moment. Alors que la moitié ait sauté, ça m'a tout de suite mise face au reportage que j'étais censée faire mais pour lequel j'ai pas eu le temps de récupérer un micro et au mail d'un gars d'Ubisoft à qui je devais répondre. Ca a l'air cool, comme ça, hein ? J'aimerais vous y voir. Et surtout vous m'y voyez, moi ? Moi qui suis incapable de prendre l'initiative d'une question ? Je suis déjà terrifiée au moment de demander à Karma à quelle heure on se retrouve pour aller au ciné - d'ailleurs faudrait peut-être que je songe à lui envoyer ce fameux message, hein, juste histoire de pas me retrouver à la rue, mais enfin je dis ça je dis rien... Alors bon, bien sûr, j'ai passé une journée entière à me ronger les sangs parce que je n'arrivais pas à rédiger un putain de mail et à passer un putain d'appel. Du coup j'ai tout remis au lendemain. C'est à dire à aujourd'hui. Putain, je te hais Shania d'hier. Même la rédaction de cet article, je l'ai repoussée, parce que comme vous pouvez le constater, je suis en panne de mon humour légendaire, de mes bons mots qui vous transcendent et vous font organiser un culte en mon honneur au cours duquel vous faites des offrandes à une statuette à mon effigie. Ou plantez des épingles dans une poupée vaudou, au choix. J'ai bien conscience de vous avoir habitués à mieux, mais enfin, on ne peut pas toujours être au top. Vous comprenez, à force d'être trop mythique, je m'essouffle, moi ! Et puis m'imaginer complètement déchirée compense un peu, j'espère.

A part ça je voulais vous faire partager cette photo de chaton des sables :

On voit tout de suite la différence culturelle entre KGB et moi : moi je trouve que le ratio oreilles / tête de ce chaton se rapproche du ratio boobs / tête des meufs dans Sekirei, lui trouve qu'il ressemble au Nemesis dans EVE Online :

Ce garçon a beaucoup d'imagination. Ou d'obsession.
 
Ah, et il paraît qu'on vient de changer d'heure, même que c'est La Poste qui l'a dit. Le fait que je sois réveillée depuis 5 heures en est d'autant plus prometteur pour mon avenir de ce soir. Yihou.